Hier, je vous parlais du meurtre de Suzanne Lavollée, jeune prostituée assassinée par un de ses clients. Ce que l’on retient d’elle, c’est son meurtre sordide, mais bien évidemment, sa vie ne se résume pas à sa mort. Je ne vais pas divulgâcher un grand secret en révélant que je n’ai pas découvert tous les mystères que dissimule Suzy, loin s’en faut. Cependant, je vais essayer de retracer une partie de sa vie. Mais comment reconstituer la vie d’une prostituée ? Vient-elle de Touraine ou d’ailleurs, de la ville ou de la campagne ? A cette époque, les filles publiques devaient s’enregistrer auprès de la préfecture et passer des visites médicales mensuelles (visites sanitaires obligatoires pour endiguer les épidémies de syphilis notamment). Elles pouvaient ensuite s’inscrire dans une maison close ou travailler à leur compte. Ainsi, la prostitution était tolérée (on appelait d’ailleurs les maisons closes des maisons de tolérance). Une piste à explorer quand je pourrai me rende aux Archives départementales d’Indre-et-Loire. Mais autre piste s’ouvre à moi quand aucun des deux ouvrages récents faisant référence à l’affaire(1) ne dit rien sur la victime. Aucun des deux ouvrages récents mais un ouvrage plus ancien(2) me donne un axe intéressant. Je cite : « Le dimanche 13 avril 1924, Suzy (surnom dans le monde galant de Suzanne L……., fille d’une peintre tourangeau de grand talent) […] »
Si Philippe Dubrueil Chambardel ne cite pas le nom de la victime en 1994, Fabrice Mauclair et Jean-Michel Sieklucki n’ont eu la même réserve (en 2021, il y a prescription). Suzanne Lavollée est donc la fille d’un peintre tourangeau connu. Lavollée est un nom que je connais bien pour avoir vécu près de 20 ans à côté d’une rue portant son nom (voir mon Challenge AZ 2021 ici). Une fois ce « détail » en ma possession, il est facile de trouver l’acte de naissance de Suzanne (voir ici). En 1898, Marcel-Thomas Lavollée est relieur et artiste-peintre à ses heures . Qu’est-ce qui peut amener une jeune femme à se prostituer alors que son père a plutôt une bonne situation ? Je relis la biographie du père pour découvrir celle de la fille, quand un doute m’assaille. Dans le Bulletin des bibliothèques de France de l’ENSSIB, il est dit que lors de la rétrospective du 26 février au 6 mars 1966, organisée à la bibliothèque municipale de Tours, « Cent soixante-dix toiles, dessins, reliures peintes, etc… avaient été réunis dans cette exposition rétrospective consacrée au peintre tourangeau Marcel-Thomas Lavollée, par sa fille, Mme de Puyborac. » Donc, Marcel-Thomas aurait eu au moins deux filles, une devenue madame de, et une catin. J’ai effectivement trouvé une deuxième fille, Marcelle Joséphine Marie, née du mariage de Marcel-Thomas et de Joséphine Vasse, sa femme avant le mariage de Marcel-Thomas et Joséphine Vasse, sa femme (voir ici). Est-ce elle qui est devenue madame de Puyborac ? Peut-être ou pas, car dans l’acte de naissance de Marcelle, il n’est fait mention que d’un mariage, celui avec Gustave Alexandre Lacroix (voir là et là). Le couple Lavollée/Vasse a également un fils, Roger Marcel (+06/02/1989 à Luynes), né en 1903 (voir ici) et marié le 7 août 1928 à Tours (voir là). Marcel-Thomas se remarie le 6 mai 1924 à Tours avec Jeanne Léonie Gourlet, une Anglaise née en 1881, après avoir divorcé de Joséphine le 17 juillet 1922 (voir ici).
Pour en revenir à Suzy, si j’avais été un peu plus réveillée, je serai allée directement chercher son acte de décès, le 13 avril 1924 (ici) et je n’aurais pas eu à me poser toutes ces questions ! Cependant, heureusement que je suis sûre, grâce à l’adresse de la défunte, qu’il s’agit bien de la victime de Finatti car, rien n’est mentionné sur les circonstances de sa mort et surtout, la défunte exerce la profession de…couturière !
Est-ce la guerre qui pousse Suzanne sur les pavés ? Ou le divorce de ses parents ? (1) Depuis quand vend-elle son corps ? Est-ce une activité journalière, ou une pratique ponctuelle pour finir les fins de mois ? On retrouve Suzy dans les registres d’écrou de Tours le 06 mai 1922 et le 09 avril 1923. Le registre mentionne qu’elle est une fille soumise. Le terme de « fille soumise » signifie qu’elle est enregistrée à la Préfecture, par opposition aux filles insoumises, c’est-à-dire clandestines. En revanche, elle n’habite pas rue du cygne en 1921. Travaillait-elle ailleurs ou peut-être n’avait-elle pas encore emprunté le chemin de la prostitution ? Etant donné qu’entre 1907 et 1974, la majorité civile en France est de 21 ans et que Suzanne a 21 ans en 1919, on peut estimer qu’elle commence à arpenter le trottoir après cette date. En réalité, Suzy ne trouvait pas ses clients dans la rue. En effet, à cette époque, le racolage était puni par la loi (2). Voilà ce qui explique peut-être pourquoi elle fréquentait le café Gautry.
Comme on pouvait s’y attendre, Suzy ne possède rien, aucun bien à léguer à ses proches (voir ici). Le peu qu’elle possédait, Finatti le lui a dérobé : quelques bijoux (trois bagues dont une alliance, une gourmette, un collier et une montre-bracelet), un petit couteau de poche, une paire de ciseaux.
Mais qu’est qui a bien pu poussé Suzy à se prostituer ? Si je n’ai pas la réponse à cette question, il semble que les journalistes de l’époque aient plus de renseignements.
Suzanne est encore jeune pendant la guerre (en 1918, elle a 20 ans). Ses parents sont encore mariés mais vivaient-ils encore ensembles ? Plus en 1921 en tout cas. Bien que Marcel-Thomas soit exempté de service militaire en 1899, il est appelé sous les drapeaux le 23 mai 1917. Durant trois mois et demi, il combat contre l’Allemagne, avant d’être réformé(3) par la commission spéciale de réforme d’Angers pour cause d’insuffisance mitrale. Durant trois mois et demi, il laisse Suzanne, sa fille de 18 ans. Pourquoi la mère de Suzanne n’a pas pu garder sa fille sur un chemin que les bonnes mœurs ne réprouvaient pas ? Etait-elle, elle aussi, entrée dans le monde des galantes ? Contrairement à sa fille, elle n’apparaît pas dans les registres d’écrou. Si cela n’est pas une preuve, au moins est-ce un début. En 1936, Joséphine vit seule place Chateauneuf (voir ici).
Sur la famille de Suzanne
Marcel-Thomas, le père de Suzy, vit au 50 rue des Tanneurs, seul en 1936 (voir ici) et avec son épouse en 1931 et 1926 (voir ici, ici). Son atelier d’art situé du 2 rue du change en 1920, 1921 et 1922 (voir ici, là et là) et est désormais sis 6 rue Gambetta (voir ici, là, là et là). Lors du décès de Suzy (1924), Marcel-Thomas vit au 2 rue du change. C’est également son adresse en 1921 (mais dans le registre matricule de son fils (1923), il est dit être domicilié place Chateauneuf (voir ici)). Il y vit en tant que pensionnaire, avec une religieuse(4) londonienne, Jeanne Gourlet, née en 1887 (voir ici). Vous voyez où je veux en venir (revoir ici) ?
En mars 1917 et en 1911, il vit place Chateauneuf (voir ici et là) mais pas en 1906. En 1903 et 1901, il vit au 54 cité Mame (voir ici et là) mais n’y vit plus en 1906. En 1898 (naissance de sa fille Suzanne), il vit au 81 rue Jules Charpentier et en 1897 (naissance de sa fille Marcelle), au 3 rue du Croc. En 1896, il vit avec ses parents et sa sœur Marcelline au 3 rue du croc (voir ici). On retrouve Marcelline en 1905, alors qu’elle donne naissance à une fille, Marie Madeleine (voir ici).
Les AD37 ont numérisées les registres de commerce et des sociétés, ainsi que les fichiers alphabétique des artisans. Dans chacun des deux fichiers, l’atelier de Marcel-Thomas est rattaché au nom de Jeanne Gourlet (voir ici pour le premier et là pour le second).
Jérôme Lavollée, l’oncle de Suzanne, passe lui aussi par la maison d’arrêt, condamné à deux reprises en Touraine (voir ici, ici et ici, et encore ici et ici et ici), à huit jours de prison pour vol le 10 janvier 1900 (il fait en réalité 10 jours de prison), à cinq ans de réclusion pour vol qualifié avec violence en juin 1901 (Jérôme est cordonnier de profession et dit lettré). Annette Mazoué, fille soumise, une cousine éloignée de Suzanne est elle aussi arrêtée plusieurs fois (condamnée le 21 février 1885 à un mois de prison pour vol et le 11 avril 1885 à six semaines de prison pour vols), ainsi que Victorine et Prosper, probablement les frère et sœur d’Annette, elle fille soumise, arrêtée pour vol en avril 1885, lui, couvreur, condamné à quatre mois d’emprisonnement pour vol.
Quant à Mme Arloux, Marie de son prénom et Spaezel de son nom de naissance, c’est une Bruxelloise de 64 ans au moment des faits. (voir ici). En 1926, la veuve Arloux vit toujours au 29 rue du cygne (voir ici).
(1) Au moment où j’écris ces lignes, je rédige également mon article sur Finatti dont la publication est prévue le 13 avril sur mon blog. Je n’ai pas fini d’épluché totalement la presse de l’époque et je n’ai pas encore découvert la réponse à ma question. Qu’est-ce qui a poussé Suzanne Lavollée ? Vous le saurez un peu plus loin dans l’article.
(2) en 2003 et la loi sur la sécurité intérieure dite « loi Sarkozy, la pénalisation du racolage passif, supprimée en 1994, est rétablie. Depuis le a loi abroge le délit de racolage (actif et passif) de la loi Sarkozy et prévoit la pénalisation des clients. Autrement dit, en France,