Mon intérêt pour les signatures de mes ancêtres n’est pas nouveau. J’ai déjà écrit un article sur le sujet (pour le lire ou le relire, c’estici). J’y traitais de ceux qui « ont déclaré ne scavoir signer de ce enquis » et de ceux qui, plus ou moins adroitement, apposaient leur nom en bas d’un acte.
D’après mon logiciel Heredis, j’ai, à l’heure actuelle, 76 sosa qui savent signer. Si j’enlève 7 personnes, correspondant à moi, mes parents et mes grands-parents, il en reste 69. Si je notais scrupuleusement les ancêtres qui savaient signer lors de mes débuts, je ne notais pas ceux qui ne savaient pas signer. Il me semblait logique que soit on savait signer, soit on ne savait pas. C’était méconnaître que dans les actes de baptêmes, le curé précise si les témoins savent signer mais pas forcément si le déclarant, souvent le père, sait le faire et que les personnes peuvent déclarer ne pas savoir signer à un moment et signer à un autre (et inversement). Du coup, faute d’avoir fait une mise à jour scrupuleuse, je n’ai que 56 personnes qui ne savent pas signer.
Depuis 2016, j’ai étoffé mon catalogue de signatures et diversifié mes présentations. Donc, pour cet article, je mets à profit mon goût pour les infographies. Je ne vais pas vous présenter toutes les signatures de mon arbre mais sélectionner quelques ancêtres qui illustreront la multitude de profils. Comme pour l’article citer en début d’article (Ont déclaré ne scavoir signer de ce enquis), mon ouvrage de référence est celui de Thierry Sabot, Les Signatures des nos ancêtres, ou l’apprentissage d’un geste, Théma n°3, 2012, éd Thisa.
C’est parti !
Le niveau 0 d’alphabétisation ou analphabétisme L’individu ne sait ni lire ni écrire et ne sait donc pas signer. Son inaptitude est mentionnée dans l’acte. Pierre Lesserre et Marie Besnier, mes sosa 126 et 127 sont de ceux-là.
Le niveau 1 d’alphabétisation ou analphabétisme L’individu ne sait ni lire ni écrire mais laisse une marque en bas de l’acte. Pour moi, cela ressemble à de la coquetterie ; les personnes ne savent pas écrire mais tiennent à affirmer physiquement leur présence. Pierre Tranchant et Bergitte Boubay, mes sosa 880 et 881, ont laissé cette trace physique de leur engagement.
Le Rendez-vous ancestral est un défi lancé par Guillaume sur son blog Le Grenier de nos ancêtres. Il s’agit de remonter le temps et traverser l’espace pour « rencontrer » un ancêtre. Les généablogueurs partagent leurs expériences spatio-temporelles sur leur blog le 3è samedi du mois.
Temps de lecture : 8 minutes
[Nous sommes le 3è samedi du mois. Si je veux partir à la rencontre d’un de mes ancêtres, c’est maintenant, il ne faut pas que je loupe le coche. Je ne maîtrise pas encore totalement le processus de téléportation mais j’ai compris comment ça marche. Cette-foi-ci, pas de thé (ça fait mal à la tête, voir ici) et je vais profiter du jardin pour me relaxer. Après, j’irai où le vent me portera. Je prends un transat dans le garage et je m’apprête à m’installer dans l’herbe fraîchement coupée (heureusement, je ne suis pas allergique). J’ouvre la porte-fenêtre. Le soleil m’éblouit. Je mets ma main devant les yeux. Lorsque je me suis habituée à la luminosité, je m’aperçois que je suis sur le pas d’une porte. Mon cœur bat la chamade].
« Cette-fois, ça n’a pas traîné ! Où suis-je ? » [Je trépigne d’impatience…Après avoir regardé tout autour de moi, je lève les yeux au ciel]. « Encore une église. Au moins, j’entre par la grande porte. » (voir ici pour l’histoire de la porte.)
[Tout le monde est déjà installé. Je vais discrètement m’asseoir. Enthousiaste et excitée, je me motive.] « Surtout, surtout, tu écoutes et tu arrêtes de te parler à toi-même. » [Le prêtre a déjà commencé.]
« Le 24e juin 1721 ont été epousez selon les formes prescrittes par leglise apres les trois publications des bans dans cette paroisse et dans celle de Ciran aux prosnes de nos messes paroissialles sans aucune oppositions civile ny canonique antoine aviron fils de deffunts gatien aviron et marie groleau ses pere et mere par nous inhumé et jeanne aviron fille de deffunt Laurent aviron et de Jeanne septier femme a pnt de de francois Billard ses pere et mere tous de cette prsse de St Senochs ont ete pnt et consentent a la celebration de leur mariage pierre aviron frere du mariée René et Jean aviron ses deux oncles paternelles Jean groleau son oncle maternel Jeanne Jouzeau femme de Jean frapier de Renée davaunneau de Jacques Chevallier ses tantes Jeanne septier et francois Billard mere et beau pere de la mariée Louis septier son oncle Mre estienne Barentin Sr de la mechiniere Louis arnault Sr de la molerge et plusieurs autres parents et amis qui ont dit ne scavoir signer fors les soussignez signé antoine aviron Barentin anne bonnet arnault et froger »
[Et là, surprise ! Le marié va signer le registre]. « Géniaaaaal, je vais pouvoir aller jeter un œil à sa signature…quand tout le monde sera parti bien sûr.« [Quelques minutes plus tard, la noce sort doucement de l’église. Je fais semblant de me recueillir, tout en jetant un regard impatient vers l’autel. Une fois tout le monde dehors, je me lève discrètement et commence à remonter la nef. Soudain, j’entends quelqu’un se râcler la gorge : le prêtre se tient devant moi et m’indique la sortie. Je fais mine de dire une dernière parole pieuse et quitte, dépitée, le lieu saint. Arrivée sur le seuil de la porte, le soleil m’éblouit. Je mets ma main devant les yeux. Lorsque je me suis habituée à la luminosité, je m’aperçois qu’il n’y a plus personne dehors. J’entends du bruit derrière moi. Quand je me retourne, je constate qu’une cérémonie religieuse se tient dans l’église pourtant vide quelques secondes auparavant. Contre mauvaise fortune bon cœur, je retourne m’asseoir sur les bancs de l’église.
Concentrée et pleine de bonnes résolutions (comme écouter ce que dit le prêtre), je reprends cependant mes mauvaises habitudes et laisse mon esprit vagabonder sur les détails architecturaux, ici, la voûte, là, le chœur et son jubé. Ca y est, le moment intéressant, généalogiquement parlant, arrive : le moment où le curé lit l’acte de mariage.]
« Le 9 du mois de septembre l’an mil sept cent vingt huit après la publicationt de trois bans selon la forme ordinaire aiant naÿant empechement ont etez mariez par nous sousignez apres avoir pris leur consentement mutuel jeans jacque trench ant et bergite boubaÿ tous deux de cet parose et de jean baptite le chien et de laurent boubaÿ on signe comme temoins »
[Et là, surprise ! Les mariés vont signer le registre…eux aussi]. « Chouette, je vais pouvoir aller jeter un œil à leur signature…peut-être.« [Quelques minutes plus tard, la noce sort doucement de l’église. Je fais semblant de me recueillir, tout en jetant un regard dubitatif autour de moi. Une fois tout le monde dehors, je me lève, sceptique, et commence à remonter la nef. Soudain, j’entends quelqu’un se râcler la gorge. Je n’ose pas lever les yeux : le prêtre se tient devant moi et m’indique la sortie. J’hésite à faire semblant de dire une dernière parole pieuse et quitte, perplexe, le lieu saint. Arrivée sur le seuil de la porte, le soleil m’éblouit. Je mets ma main devant les yeux. Lorsque je me suis habituée à la luminosité, je ne peux que constater qu’il n’y a plus personne dehors. J’entends du bruit derrière moi. Je retarde le moment de me retourner car je devine qu’une cérémonie religieuse se tient dans l’église, que je croyais vide quelques secondes auparavant. Impassible, je retourne m’asseoir sur mon banc, dans l’église.
Attentive et consciencieuse, j’attends, fataliste, qu’arrive le moment où le curé lit l’acte de mariage.]
« Etienne Bodeau fils de Cosme Bodeau et de défunte Renée Rouleau ses père et mère, de la paroisse de Savigné et Marie Naulet fille de Jean Naulet et de défunte Marie Bourreau ses père et mère de cette paroisse ont ce jourd’hui, dix-septième novembre mille sept cent onze, reçu la bénédiction de mariage par nous prêtre curé soussigné les cérémonies accoutumées dûment observées les bans publiés en cette paroisse par trois dimanches consécutifs au prône de grande messe et en celle de Savigné ainsi qu’il parroît par certificat du sieur curé en date du dix de ce mois signé Hervé sans qu’il se soit trouvé d’opposition ni empêchement et présent ledit Cosme Bodeau père et de Jean Naulet et Etienne et Pierre les Rouleau, René et René les Vinet soussignés, consentants, lesdits Cosme Bodeau et Jean Naulet ont dit ne savoir signer et ladite Naulet de ce enquis lesdits Roulleau et Vinet de la paroisse de Savigné les autres de cette paroisse »
[Et là, surprise ! Le marié va signer le registre…lui aussi]. « Ouaiiiiis, je vais pouvoir aller jeter un œil à sa signature…mon œil ! »
[Quelques minutes plus tard, la noce sort doucement de l’église. Je ne fais plus semblant de me recueillir, j’inspecte les allées autour de moi. Une fois tout le monde dehors, je me lève, incrédule, et commence à remonter la nef. Soudain, j’entends quelqu’un se râcler la gorge. Je lève les yeux, au cas où, même si je m’attends à ce qui va suivre : le prêtre se tient devant moi et m’indique la sortie. Je bougonne et quitte, échaudée, l’église. Arrivée sur le seuil de la porte, le soleil m’éblouit. Je mets ma main devant les yeux. Lorsque je me suis habituée à la luminosité, je me doute qu’il n’y a plus personne dehors. J’entends du bruit derrière moi. Je ne sais pas si je vais me retourner car je sais qu’une cérémonie religieuse se tient dans l’église, qui, je me le demande, a-t-elle vraiment été vide. Je crois que je vis mon jour de la marmotte.
Résignée, je retourne, encore, m’asseoir sur mon banc, toujours à la même place libre.
Blasée et désappointée, j’attends le moment où le curé va lire l’acte de mariage.]
« Le huitiesme jour de janvier 16 quattre vingt huit ont recu la benediction nuptiale dans l’eglise de pont de ruan par nous pretre desservan la cure dud lieu apres les trois publications faite canoniquem[ent] et y avoir observé tout ce qui y doit etre gardé come il apert et de par la proclamation faite de ceste eglise que dans celles d’Arthanne suivant le certificat du Sr curé dud Artanne a nou presenté en datte du 7 de ce mois les personnes de Claude Denis marchand fils de deffunt Remond Denis et de Jacquette Reverdy ses pere et mere en legitime mariage et de marie mariau fille de Mtre Loüis mariau et de deffunte Catherine Leroux aussi ses pere et mere assiste lesusd epoux de jacquette Reverdy sa mere de pierre et remond les denis ses frere et lad epouse assistée de Lozaire Septier marchand son beau pere et des soussigné le quel epoux et epouse et lad Reverdy on declaré ne scavoir signer fors les soussignés signé C Denis L Septier et mistouflet »
[Et là, truisme! Le marié va signer le registre…évidemment]. « Youhou, je vais pouvoir aller jeter un œil à sa signature…ou pas ! »
[Quelques longues minutes plus tard, la noce sort doucement de l’église. Je sors directement de l’édifice, sans me retourner. Arrivée sur le seuil de la porte, le soleil m’éblouit. Je mets ma main devant les yeux. Lorsque je me suis habituée à la luminosité…je suis dans mon jardin.] « OUF, à force de tourner en rond, ce voyage m’a donné le tournis. La prochaine fois, il faudra que je pense à prendre mes lunettes de soleil, de toute façon, je détonne déjà avec mon pantalon en skaï. » [Et malgré toutes ces péripéties, ma curiosité est toujours là. Donc direction les Archives départementales, pour enfin voir les signatures de mes ancêtres.]
1. Le 25 juin 1721, mariage d’Antoine Aviron (sosa 2026) et de Jeanne Aviron (sosa 2027), St-Senoch (AD37, 6NUM6/238/015, vue 23)
Bon, visiblement, le marié a bien signé le registre de mariage mais comme les AD37 ont numérisé la copie du greffe, la signature n’apparaît pas. Dommage !
2. Le 9 septembre 1721, mariage de Jean Pierre Tranchant (sosa 880) et Brigitte Boubay (sosa 881), Thun-Saint-Martin (Nord)
Les mariés sont bien allés écrire sur le registre mais pas pour signer, juste pour laisser leur marque. Ils ne savent pas signer. Dommage !
3. Le 07 novembre 1711, mariage d’Etienne Bodeau (sosa 764) et Marie Naulet (sosa 765), Parçay-les-Pins (Maine-et-Loire). De jolies signatures avec des ruches !
4. Le 08 janvier 1688, mariage de Claude Denis (sosa 1834) et de Marie Mariau (sosa 1835), Pont-de-Ruan (Indre-et-Loire).
Le marié a bien signé le registre mais pas de signature. Vous aurez compris qu’il s’agit de la copie du greffe. Heureusement, le registre communal a été numérisé (AD37, 6NUM7/186/004, vue 87).
Si les antibiotiques, c’est pas automatique, l’écriture non plus. Que ce soit sur les actes de baptême, de mariage ou de décès, on trouve souvent, à la fin de l’acte, l’expression « ont déclaré ne scavoir signer de ce enquis » . Enquis est le participe passé du verbe enquérir, qui signifie « s’informer sur quelque chose » . On pourrait transcrire « ont déclaré ne scavoir signer de ce enquis » par « ont déclaré ne pas savoir signer après avoir été interrogés sur ce sujet » C’est une formulation qui évitaient les contestations parce qu’un acte n’étaient pas signé. On trouve parfois l’expression « de ce interpellé » , ce qui a exactement le même sens (après qu’on les a interpelés sur cela, c’est-à-dire s’ils savaient signer).
« et jeanne Douchard qui ont dit ne savoir signer de ce enquis par moy » (Vaux, Vienne, 1787, (C)AD86)
« et tesmoins qui ne scavent signer de ce enquis fors [sauf] les sousignes » (Noyant, Indre-et-Loire, 1778, (C)AD37)
« Le masson qui ont declaré ne scavoir signer de ce interpellés » (Elven, Morbihan, 1753, (C)AD56)
« et amys qui ont dit ne scavoir signer » (Saint-Branchs, Indre-et-Loire, 1674, (C)AD37)
« et aultres parens et amis qui n’ont signé sauf les soussignés » (Restigné, Indre-et-Loire, 1741, (C)AD37)
« et mère de l’epousée et autres parents et amis qui ont dit ne scavoir signer fors les soussignes » (Trogues, Indre-et-Loire, 1741, (C)AD37)
« plusieurs autres qui excepté les soussignes ont dict ne scavoir [,] ont signé N. Mabilleau » (Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Indre-et-Loire, 1701, (C)AD37)
« plusieurs autres parans et amis qui ont déclaré ne scavoir signer fors les sousigné audebert prouteau et moreau » (Le Louroux, Indre-et-Loire, 1704, (C)AD37)
« de moulhierne [Mouliherne, Maine-et-Loire] et ont tous les denomes declare ne scavoir signer » (Thurageau, Vienne, 1715, (C)AD86)
« sur les deux registres et signé par moy [,] les parties et têmoins ayant Déclaré ne le scavoir » (Thurageau, Vienne, 1822, (C)AD86)
« et autres qui n’ont seu [su] signer fors les cy après » (Saint-Sénoch, Indre-et-Loire, 1711, (C)AD37)
Et parfois, le prêtre se mélange un peu les pinceaux.
« autres qui ont soussignés fors les soussignés » [autrement dit, ont signé en dessous sauf ceux qui ont signes en dessous] (Mouzay, Indre-et-Loire, 1750, (C)AD37)
Jusqu’au XXème siècle, beaucoup de mes ancêtres, et surtout les femmes, ne savent pas signer. Mais c’était souvent le cas à cette époque, particulièrement à la campagne. D’autres savent signer, mais d’une écriture hésitante ou scolaire (écriture scripte). Et certains, plus instruits, signent parfaitement. Parfois, on peut voir l’évolution dans la signature, qui devient plus fluide (grâce à la pratique par exemple) ou au contraire moins maîtrisée (peut-être à cause de l’âge, d’une maladie ou d’une blessure).
Thierry Sabot, dans son ouvrage sur les signatures(1), utilise une grille d’évaluation qui permet de classer ces dernières en 7 catégories, de l’analphabétisme au très bon niveau d’alphabétisation.
J’ai réutilisé cette classification pour les signatures de mes ancêtres.
Jean Pierre TRANCHANT époux Pautre sosa 220
Gendarme impérial (1808), gendarme à la retraite (1830), niveau 3
1808 1830
Jacques GASCHET époux Taissier sosa 48
Son patronyme « perd » son S, niveau 3/4
1852 1855
René LIVOIREAU époux Chasles sosa 184
niveau 4
17781786
an IV
André DUAULT époux Robin sosa 176
1824
André DUAULT époux Sevaux-Tulasne sosa 88
niveau 4/5, puis ne signe plus (niveau 0) puis niveau 2
En 1824 (mariage), ne signe pas 1826
En 1844, il ne signe plus.
1849 (signature de droite, celle de gauche est celle de son frère)
Etienne Germain BOILEAU époux Courant
Sa signature ne change presque pas, un peu plus hésitante, niveau 4/5
1848 1876 1891
Jacques GASCHET
niveau 5
1878 1879
Pierre Hémon
et son épouse
Changement dans la graphie du H majuscule, niveau 4 puis niveau 5 écriture plutôt fluide, niveau 5
1910 1928 1910
Jacques Gachet époux Auclerq
niveau 5
1878
André Duault époux Livoireau
Sa signature ne change pas en 10 ans (voir le D majuscule), juste légèrement plus penchée, niveau 5
Sabotier, fils de gendarme impérial et de domestique, niveau 4/5
Julien Ruaud époux Thébaud sosa 170
niveau 5
1773
Adrien Gaschet époux Bulot
niveau 5/6
1910
« (1) Source bibliographique : – Thierry Sabot, Les Signatures de nos ancêtres ou l’apprentissage d’un geste, Thema Histoire et généalogie, la petite histoire de nos ancêtres n°3, Thisa, 2012.