Publié dans Personnalités tourangelles, Petite histoire de la Touraine

Tours, 1924, l’Éventreur et la Veuve

Les faits

Le 13 avril 1924, Suzanne Lavollée est sauvagement assassinée dans sa chambre du 29 rue du cygne, à Tours.
Avril 1924. Suzanne, dite Suzy, vend ses charmes. Elle va chercher ses clients chez M. Gautry, au café Mozart, 57 rue de la Scellerie à Tours et les emmène dans une chambre meublée que Mme Arloux, la propriétaire, lui loue.
Très rapidement après la découverte du crime, les soupçons se portent sur le dernier client de Suzy.

Le suspect : from Italy.

Le dernier client de Suzy s’appelle Francesco Zeiro Finatti. Il est italien et travaille en tant que cimentier pour le compte de M. Launay. Finatti a 39 ans au moment des faits (il naît le 8 septembre 1884 à Salara). Il a été vu sortant de la chambre de Suzy peu de temps avant la découverte du corps.

Le déroulement des faits : les dernières heures de Suzy.

Dans l’après midi du 13 avril, Finatti fait la rencontre de Suzy au café Gautry. Ils discutent près de deux heures puis « montent » dans la chambre de la jeune prostituée. Une fois leur transaction conclue, le couple se sépare mais se retrouve vers 19h00, au café Gautry, et repart pour un deuxième « voyage » .
L’accès à la chambre de Suzy impose de se faire ouvrir la porte par la logeuse, Mme Arloux, qui n’ignore rien de l’activité de sa locataire. A 20h00, Finatti quitte seul l’appartement. Mme Arloux, dont l’habitation jouxte celui de Suzy, s’étonne de l’absence de remue-ménage. En effet, après son « travail », Suzy avait l’habitude de ranger le désordre. Intriguée, la propriétaire frappe à la porte, et ne recevant aucune réponse, entre. Elle découvre alors une scène effrayante : Suzy est étendue sur le lit, entièrement dévêtue, les cheveux défaits, une jambe repliée, l’autre pendante. Son cou porte des traces de strangulation, et son corps est atrocement mutilé : ses seins et ses parties génitales sont coupés, son ventre est ouvert sur vingt centimètres de long et laisse échapper les intestins.

L’enquête : le suspect est-il coupable ?

Les policiers interrogent Mme Arloux et les clients du café Gautry. Tous ont noté l’accent italien de l’homme qui a accompagné la prostituée. La police consulte le fichier des étrangers séjournant à Tours et très rapidement, leurs soupçons se portent sur Francesco Zeiro Finatti. Le logement du suspect, situé 28 rue Charles Gille, chez Mme Roy, est perquisitionné en son absence. Les vêtements retrouvés correspondent à la description faite par les témoins. Dès le lendemain du crime, les policiers se rendent chez M. Launay, un entrepreneur en maçonnerie situé rue Victor Hugo, pour lequel Finatti travaille. Ils apprennent que Finatti est venu travailler le matin même, comme d’habitude, et qu’il s’est rendu sur un chantier place de la gare. Le suspect est aussitôt interpellé. L’interrogatoire est mené en présence des commissaires Ottavi et Fabiani, du substitut du Procureur Ribes et du juge d’instruction Cador. Contestant sa présence au café Gautry la veille, une confrontation est organisée avec les clients du débit de boissons. Tous le reconnaissent. Malgré cela, Finatti continue de nier. On le conduit alors sur les lieux du crime, où la cadavre de Suzy se trouve toujours. Le logement de Finatti est de nouveau perquisitionné, et cette fois-ci, les policiers y découvrent les objets et les bijoux volés à la victime. Finatti craque et avoue son crime.

ATTENTION, le lien ci-dessous peut choquer les personnes sensibles. Il s’agit d’une photographie du cadavre de Suzanne (collection du Rijksmuseun d’Amsterdam, numéro d’objet RP-F-2014-81).
cliquez ici – attention, image choquante
Un autre tirage de la même photographie (?)
cliquez ici – attention, image choquante

La raison du crime : pourquoi tant de haine ?

Lorsque l’on demande à Finatti pourquoi il a tué Suzanne Lavollée, il répond que la belle-de-nuit lui avait dérobé un billet de 50 francs. Pris d’une colère aveugle, il l’a étranglé mais ne se souvient pas de ce qui s’est passé par la suite. Il n’explique pas les mutilations, il dit seulement : « J’étais fou de colère » . Lors de son arrestation, Finatti a encore sur lui le couteau de poche meurtrier.

La condamnation

Deux mois et demi après son arrestation, le 26 juin 1924, Finatti comparait devant la Cour d’assises d’Indre-et-Loire. Maître Sabourin a la dure tâche de défendre l’accusé alors que l’avocat général, maître Duport, réclame la tête de l’assassin. Le verdict tombe en quelques minutes seulement : le jury déclare Finatti coupable et ne lui octroie pas de circonstances atténuantes. A l’énonciation de la sentence, le condamné à mort répond : « Que l’on fasse de moi ce que l’on voudra ! Je m’excuse de ce que j’ai fait ! » .

L’application de la sentence : la mort ou la grâce ?

Après l’annonce du verdict, Finatti se pourvoit en cassation(1). Son pourvoi est rejeté. L’exécution est programmée le matin du 19 septembre. Ce jour-là vers 4h15, « Monsieur de Paris » (le bourreau) arrive en voiture (ou par l’express de Paris selon la presse locale). La guillotine est installée boulevard Béranger, juste devant la grille de la prison (à l’emplacement de l’actuel Poste), en partie sur le trottoir, en partie sur la chaussée (voir ici). La foule se rassemble. Un peu avant 5 heures, on réveille le condamné. Finatti s’habille, s’entretient avec l’aumônier, se confesse et communie, accepte la dernière cigarette qu’on lui offre et réclame sa pipe. A 5h30, il est prêt mais le bourreau de se fait attendre. Enfin, Finatti est conduit devant celle par qui la justice expie les crimes. Le couperet tombe à 5h55. Quarante-cinq secondes se sont écoulées entre le moment où le condamné est apparu à la porte de la prison et l’exécution. Anatole Deibler vient de procéder à la dernière exécution publique d’Indre-et-Loire (2).

Finatti, exécution
AD37, 1Y70

Finatti est mort (voir son acte de décès ici). Son recours en grâce a été rejeté(3).

Finatti, recours en grâce
AD37, 1Y70

En rédigeant l’article, je me suis dit que j’aimerais bien en savoir plus sur Suzy. Ce sera dans un prochain article.

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Les échos dans la presse de l’époque(4)

Ci-dessous les liens vers les articles de presse dans lesquels l’affaire Finatti est évoquée.

Le 15 avril

Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 358)
La Dépêche (AD37, 2030PERU62, vue 33)
La Touraine Républicaine (AD37, 2029PERU54, vue 423)
Le Quotidien (Gallica)
Le Gaulois (Gallica)

Le 16 avril

Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 362)
La Dépêche (AD37, 2030PERU62, vue 36)
La Touraine Républicaine (AD37, 2029PERU54, vue 427)
Le Courrier de Saône-et-Loire (Gallica)

Le 17 avril

La Dépêche (AD37, 2030PERU62, vue 38)
La Touraine Républicaine (AD37, 2029PERU54, vue 431)
Le Journal de Chinon (Gallica)

Le 19 avril

– Le Moniteur de la Haute-Vienne (Gallica)

Le 19 juin

Journal de Chinon (Gallica)

Le 20 juin

Le Tourangeau (Gallica)

Le 27 juin

Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 599)
La Dépêche (AD37, 2030PERU62, vues 201-202)
La Touraine Républicaine (AD37, 2029PERU54,
vue 718)

Le 28 juin

Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 603)
La Touraine Républicaine (AD37, 2029PERU54, vue 722)
L’Echo du Nord (Gallica)

Le 29 juin

Le Tourangeau (Gallica)

Le 03 juillet

Le Républicain de Chinon (Gallica)

Le 06 juillet

La Croix d’Indre-et-Loire (Gallica)

Le 02 août

– L‘Action française (Gallica)

Le 03 août

Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 721)
La Touraine républicaine (AD37, 2029PERU54, vue 866)
Le Tourangeau ( Gallica)

Le 19 septembre

La Touraine Républicaine (AD37, vues 1053-1054)
La Dépêche (AD37, 2030PERU6, vue 174)
Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 877)
Le Petit Comtois (Gallica)
Le Petit parisien (Gallica)
Le Peuple (Gallica)
L’Ouest-Eclair (Nantes) (Gallica)

Le 20 septembre

Le Journal d’Indre-et-Loire (AD37, 2019PERU113, vue 881)
– La Dépêche (AD37, 2030PERU63, vue 176)
La Charente (Gallica)
La Presse (Gallica)
Le Télégramme (Toulouse) (Gallica)
La Dépêche (Toulouse) (Gallica)
La Dépêche de Constantine (Gallica)
Le Radical (Gallica)
L’Echo d’Alger (Gallica)
Le Matin (Gallica)
Le Midi socialiste (Gallica)
– La Dépêche de Brest (Gallica)
Le Bien public (Gallica)
Le Journal (Gallica)
La Dépêche républicaine de Franche-Comté (Gallica)
L’intransigeant (Gallica)
L’Œuvre (Gallica)
La Liberté (Gallica)
Paris-Soir (Gallica)
L’Humanité (Gallica)
L’Est républicain (Gallica)
Le Petit troyen (Gallica)
Comoedia (Gallica)
L’Eclair comtois (Gallica)
L’Ouest-Eclair (Caen) (Gallica, Gallica)
Le Figaro (Gallica)
L’Ere nouvelle (Gallica)
Le Messin (Gallica)
Le Petit journal (Gallica)
The Chicago tribune and the Daily news (New York) (Gallica)

Le 21 septembre

Le Républicain des Hautes Pyrénées (Gallica)
Le Tourangeau (Gallica)
Le Rappel (Gallica)
La Lanterne (Gallica)
L’express de l’Est et des Vosges (Gallica)
L’Ouest-Eclair (Gallica)
Le Grand écho du Nord de la France (Gallica)
Gazette des tribunaux (Gallica)
Le Patriote des Pyrénées (Gallica)

Le 24 septembre

Le Bonhomme limousin (Gallica)

Le 27 septembre

– Journal du Tarn (Gallica)

Le 28 septembre

La Croix de Tarn-et-Garonne (Gallica)

Le 1er novembre 1927

Les Dernières nouvelles de Strasbourg (Gallica)

Le 12 octobre 1949

L’Aurore (Gallica)

Philippe Charlier fait référence au crime de Finatti dans son ouvrage, Seine de crimes : Morts suspectes à Paris 1871-1937 (voir ici – attention, on y voit la photo du cadavre de Suzanne), de même que Marc Lemonier, dans Tour de France insolite du Crime (voir ici).

(1) Quand un justiciable veut contester une décision de justice, il doit former un pourvoi en cassation. Ce pourvoi a pour objet de saisir la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire : la Cour de cassation. La Cour de cassation ne juge pas les faits. Elle se prononce sur la conformité en droit, c’est-à-dire qu’elle vérifie que les juges ont appliqué la bonne règle de droit. Lorsqu’un jugement est cassé, l’affaire est en principe renvoyée devant la juridiction dont la décision est cassée. Au pénal, le pourvoi en cassation doit se faire dans un délai de cinq jours suivant le jugement. Un pourvoi en cassation ne suspend pas l’application du jugement.
(2) Le dernier guillotiné d’Indre-et-Loire s’appelle Raymond Thaon (1951). Filicide, il est condamné à mort en 1950 pour avoir assassiné son fils de 11 ans, en le battant et en le jetant dans la Vienne. Comme l’enfant criait encore, il le récupéra, l’acheva à coups de pieds et le démembra.
Avec Finatti, Anatole Deibler vient d’exécuter son 279è condamné à mort. Au total, il exécutera 375 condamnés entre 1885 et 1939.
(3) Les dossiers de recours en grâce, versés depuis 1827 par le ministère de la Justice aux Archives nationales, ont subi d’importants triages ; seuls les dossiers présentant un intérêt historique (par exemple, tous les dossiers de grâce de condamnés à mort) ont été conservés en totalité tandis que les affaires de droit commun, jugés de peu d’intérêt historique, ont été détruits.
(4) Le Journal d’Indre-et-Loire est un quotidien conservateur édité à Tours, paru entre 1789 et 1926. Il a connu plusieurs périodicités durant sa parution.
La Dépêche est née en 1889, lorsque Daniel Wilson (celui du scandale des légions d’honneur) décide de supprimer le journal La Petite France et de confier L’Union Libérale (autre quotidien de l’époque) à Ernest Arrault. Ce dernier déclare  » je prendrai la Petite France et si vous me laissez faire, je la relèverai ! » Ernest Arrault explique que le seul moyen de sauver ce journal est de le ramener aux dimensions d’un quotidien départemental. Arrault réussit son pari mais doit changer son nom suite à un procès. Après neuf années d’existence, La Petite France devient donc La Dépêche du Centre. De départemental, le journal devient régional et connaît un immense succès. Il est, avec Tours-Soir, l’un deux plus grands quotidiens régionaux d’entre deux guerres à Tours. Le premier était imprimé rue Etienne Pallu, tandis que le second, appartenait aux Imprimeries Arrault et Cie, situées 6 rue de la Préfecture. Lors de la débâcle de juin 1940, les deux journaux cessent de publier. La Dépêche du Centre suspend sa parution le 16 juin. Cependant, le journal reprend ses éditions le 27 Juin 1940, sous contrainte allemande. Des partisans sont placés à la tête de la rédaction et la Dépêche devient un organe de propagande au service du Reich, jusqu’en août 1944. Dans la nuit du 30 au 31 Août 1944, alors que les Allemands quittent Tours, des résistants prennent possession des locaux de La Dépêche du Centre. Le journal (ainsi que Tours-Soir) est alors interdit sur arrêté préfectoral en application des décrets du Gouvernement provisoire. Les locaux et le matériel échoient ensuite à la Nouvelle République, jusque-là journal clandestin  du groupe résistant Libé-Nord.
La Touraine républicaine : journal hebdomadaire, politique, agricole et commercial, puis journal quotidien régional puis grand quotidien régional.

Erratum : dans l’infographie 11, il faut lire « les bois de justices arrivent » dans l’infographie 16, il faut lire « comme le soulignent certains commentateurs ».

3 commentaires sur « Tours, 1924, l’Éventreur et la Veuve »

  1. Quel travail pour collecter et présenter toutes ces « coupures » de presse ! Je viens de lire également l’article consacré à la vie de Suzanne. J’ai beaucoup aimé que vous preniez le temps de vous intéresser à sa vie et non pas seulement à sa mort « spectaculaire ».

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